TREIZE JOURS DE MER ENTRE ARGELÈS ET TENERIFE
Voici cinq ans, j'avais réalisé dans le Parisien une page spéciale sur les voyages en cargo. L'écrivain Hugo Verlomme, qui s'est beaucoup intéressé à ce mode de déplacement, et a publié sur ce thème un guide pratique, m'avait expliqué comment le fait de se transporter par la voie des mers d'un point du globe à un autre redonnait toute sa dimension au voyage. A l'heure où la plupart des pays sont accessibles à quelques heures d'avion, il faut parfois savoir se déplacer en bateau (ou à pied, à cheval, à vélo ...) pour retrouver une lenteur permettant au voyageur de s'immerger dans une autre temporalité, et de rompre pour de bon avec son quotidien. Dans cette approche (et le mot doit être perçu dans toutes ses acceptions), la destination n'est plus un tout ni un absolu, le transport est partie intégrante du voyage.
En passant Gibraltar (Photo F. Augendre).
Convoyer un voilier, c'est encore autre chose. D'une certaine manière, c'est pousser le bouchon encore plus loin : le temps du voyage se résume à celui du déplacement, et la destination n'est rien, sinon un objectif à atteindre. On ne part pas visiter un lieu, on y achemine seulement un bateau, dans les meilleurs délais et dans le respect du matériel. C'est une activité de livreur, qui se suffit à elle-même. Les escales n'ont aucun caractère essentiel, ce ne sont que des arrêts techniques, imposés par la météo, le ravitaillement, les pannes éventuelles. Le plaisir (car il en faut forcément un, a fortiori pour un convoyeur amateur) naît du fait d'être en mer, et sur la durée. De s'offrir, en passant, quelques moments de grâce sous voiles, par exemple un interminable bord de spi sous une brise fraîchissante, poussé par une houle propice aux pointes de vitesse; ou encore une nuit étoilée, seul dans le cockpit, avec son mug de thé pour se chauffer les doigts. Cela n'évite pas les moments pénibles ou usants : coups de vents, interminables sessions de moteur dans les calmes plats; remontée sans fin contre le vent et les vagues.
Majorque, à peine effleurée (Photo F. Augendre)
Il fallait de la constance pour descendre ainsi d'Argelès à Gibraltar, sans jamais pouvoir donner du mou dans les écoutes, à tirer même des bords carrés, un certain soir du côté de Malaga, le courant du détroit aidant (façon de parler). Mais comme d'autres l'on dit avant moi, si certaines aventures comptent 95 % d'emmerdements et 5% de bonheur, l'esprit humain est ainsi fait qu'il ne se rappelle que des 5%. De ces treize jours de mer jusqu'à Ténérife (Canaries) à bord du Rapa Iti, voilier de voyage rapide de treize mètres de long, j'ai donc ramené des souvenirs précieux, et des images, dont certaines ne resteront gravées que dans ma mémoire, tandis que d'autres ont laissé leur empreinte sur le capteur de mon Nikon. Je me rappellerai aussi la découverte de la petite île de Graciosa, dans le Nord-Est de l'archipel des Canaries, et la trop courte visite au coeur de l'île de Ténérife. Il arrive, contre toute attente, que le convoyeur se laisse emporter par le charme d'une escale et que la destination finale devienne aussi, sans y prendre garde, l'un des buts du voyage.
6ème jour de mer, toujours à tirer des bords contre le vent .... (Photo F. Augendre)
Entre Gibraltar et les Canaries, moment de grâce (Photo F. Augendre)
Graciosa, ou la quiétude d'une escale non programmée (Photo F. Augendre)
Ténérife : au coeur de l'île (Photo F. Augendre)
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