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Frédéric Augendre, le texte et l'image

Voile : une Transquadra à l'extra-ordinaire

17 Mars 2012, 15:36pm

Publié par Frederic Augendre

 

Frederic Augendre transquadra-0183

Deux semaines sans télé ni journaux, juste l'océan et le ciel en technicolor (Photo F. AUGENDRE)

 

Un mois. Voici un mois, nous embouquions avec mon camarade Joël le chenal de la baie du Marin, en Martinique, pour franchir la ligne d'arrivée de la Transquadra. Il est établi que pour récupérer d'un décolage horaire, l'organisme a besoin d'une journée par heure de jet-lag. Je suis désormais en mesure de proposer une norme pour les courses transatlantiques en équipage réduit : deux jours pour une journée de mer.

 

Il y a la fatigue, bien sûr. Lorsque les côtes apparaissent à l'horizon se manifeste une forme de déception. Quoi, déjà ? L'histoire approche de son terme, et l'esprit ne s'y résoud pas tout à fait. On se dit que cela pourrait durer encore une semaine et que l'on ne dirait pas non. Une fois mis le pied à terre, on pète le feu, on oublie les effroyables coups de mou subis en cours de traversée, et l'on se convainc que l'on aurait l'énergie pour remettre cela illico dans l'autre sens.

 

Frederic Augendre transquadra-9600

L'enchaînement des heures de barre a comme cela un effet hyphnotique (Photo F. AUGENDRE)

 

On passe la semaine à refaire la course avec les copains, on vit encore sur l'adrénaline, on s'étonne d'avoir toujours la pêche. De retour à la maison cela vous tombe sur le coin de la figure sans crier gare, une fatigue insidieuse et profonde. J'aurais dû le savoir, les mêmes symptômes m'avaient atteint trois ans plus tôt après avoir ramené de Martinique en Bretagne un autre Bongo 960, Gandalf, qui avait participé à la précédente édition de la Transquadra. Le Marin-La Trinité sur Mer, c'était autrement plus long que la deuxième étape de la Transquadra, Madère-Le Marin, mais nous étions trois et le rythme d'un convoyage n'est pas celui d'une course. J'avais pourtant déjà bien ramassé.

 

 

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Chaque soir le soleil se couche, mais ce n'est jamais le même (Photo F. AUGENDRE)

 

Le corps a donc besoin de récupérer, mais aussi l'esprit d'atterrir. Au large, on est littéralement loin de tout. Pas de factures, pas de journaux, guère de nouvelles du monde (un ou deux mails par jour avec les proches), on est à la fois très détaché de tout ce qui fait d'ordinaire notre quotidien, et très préoccupé par des obligations triviales, dormir, se nourrir, se laver (parfois), et par tout ce qui touche à la marche du bateau. Stratégie météo, tactique vis à vis des concurrents, manoeuvres, réglages, entretien du matériel. La question de la sécurité, pour soi et pour son compagnon, est souvent là en arrière-plan. On n'a surtout pas le temps de s'ennuyer, l'éveil des sens et des pensées est permanent, le cerveau est sans doute bien plus actif qu'à terre, cela gamberge à tout va, mais autour de problématiques totalement différentes. Se rebrancher en mode terrien n'est pas si simple, même si l'aventure n'a duré que deux semaines.

 

Je ne suis pas dupe. Traverser l'Atlantique, fût-ce en course et en équipage réduit, est aujourd'hui à la portée de beaucoup de plaisanciers (il suffit de regarder l'effectif de la Transquadra, 103 bateaux engagés). Aux temps du GPS et du téléphone satellitaire, ces navigations sont bien moins aventureuses qu'au temps des premières Route du Rhum. L'expérience n'en est pas moins extra-ordinaire, par la rupture qu'elle marque avec la vie de tous les jours.

 

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Pas facile à retranscrire, même si c'était bien souvent aussi fabuleux (Photo F. AUGENDRE)

 

Naviguer (mieux, courir) en équipage réduit est particulièrement gratifiant. En duo, la polyvalence est réelle, sinon totale, on échappe à cette spécialisation parfois frustrante dans laquelle tend à vous cantonner le fonctionnement performant d'un équipage de course. Il y a sans doute encore un monde entre le double et le solo, qui réclame un tout autre engagement, et laisse encore moins de place à l'improvisation, mais c'est déjà très beau, il faut s'employer comme des diables pour faire avancer proprement un bateau avec seulement deux paires de bras. On a du temps pour soi, pour laisser l'esprit vagabonder sur ce merveilleux divan d'auto-analyse qu'est l'océan, mais aussi le luxe égoïste de partager avec son compagnon des moments exceptionnels, qui n'appartiennent qu'à nous. J'ai tenté de raconter l'histoire dans le numéro d'avril de Voiles et Voiliers, qui sort incessamment en kiosque. Tout porte à croire qu'avec Joël nous écrirons une suite.

 

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Un de ces moments de grâce qui vous font en redemander, forcément (Photo F. AUGENDRE)

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